J’ai été bercée au son des Rolling’Stones, des Doors, des Who et des Beatles par mes parents. Ma mère est une ancienne hippie, par qui les décennies 80 et 90 ne sont jamais passées. Je n’ai donc jamais connu la joie de porter, comme mes petits camarades, les caleçons flashy pailletés, les jogging addidas, et les coiffures palmiers.
Non non non. Ma mère s’est comme assoupie avant de s’éveiller en l’an 2000 au son de Moby et de son Natural Blues . Pendant toute mes années de primaire, j’ai donc eu, à l’inverse de mes petits collègues, l’interdiction formelle de regarder Hélène et les garçons . Je portais des jeans droit, des caleçons fleuris, et des Doc Marteens, et des cheveux blonds très longs.
Je n’ai eu le droit de les couper (d’une vingtaine de cm seulement) qu’à 15 ans, et encore, c’est ma mère, elle-même qui s’est auto infligée cet acte après mes multiples supplications. Elle en pleurait! Je ne suis entrée chez un coiffeur pour la toute première fois qu’avant d’aller à la Fac. J’étais tellement terrorisée que j’ai demandé à ma meilleure amie de m’accompagner. Et ce n’était qu’un dégradé!
Bien sur, comme toutes les adolescentes, venu l’âge de 12 ans, je me suis prise de passion pour tout ce qui était rose fluo, pailleté et/ou tape à l’œil. Une façon de m’affirmer, sans doute. Mais mon éducation musicale, sans que j’en ai réellement pris conscience, était déjà bien encrée.
Vers 16ans, je suis entrée dans un lycée d’un genre assez atypique. Le lycée artistique Jean-François Millet de Cherbourg, où j’ai passé mes plus merveilleuses (et déjantées) années. Imaginez un lycée de 1400 élèves (1000 filles pour 400 pauvres garçons), aux taux de réussites au bac L proche du nul, largement impliqué dans toutes les actions politiques, un lycée où il était plus apprécié de venir en cours habillé d’un sac poubelle que de refuser une pétition contre l’excision.
Imaginez des centaines de filles vêtues de jupons multicolore, de garçons en pantalon de velours côtelé à bretelles, tous et toutes caressant le doux rêve de changer la face du monde en chantant/peignant/dansant et/ou jouant la comédie.
Imaginez que tous ces jeunes veulent, de plus, partir, à l’issu de ces années lycée, faire de l’humanitaire en Afrique. Imaginez enfin, que la plupart d’entre eux se nomment Maëlis, Mali, Berthelomé, Ulysse, Constance, Cassandre, Margerie, Graziella, Maximilien, Léopold, Ganael, Julina, Maella, Virgile, Ludmilla, ou Stella.
Imaginez que ces personnes soient internes. Alors « l’appel » réalisé par les surveillants prend vite des allures de poème.
Enfin, imaginez des chambres aux murs recouverts de chanson de Brassens, ou de poésies de Victor Hugo, entre deux ou trois posters de Kurt Cobain (annotés d’un « Fuck Courtney! ») et Cradle of Filth.
N’imaginez plus.
C’est le lycée Millet.
C’est là, qu’un jour, en écoutant un ami jouer de la guitare dans un coin, j’ai commencé, aux premiers notes de Angie, à avoir des réminiscences.
Le weekend venu, de retour chez mes parents, j’ai cherché à savoir d’où provenaient ces impressions de déjà vu, et ma mère m’a vite apporté des réponses.
Elle a sorti une caisse entière de vinyles, un tourne disque, des photos découpées dans des magazines, et les paroles de Angie recopiées à la plume, et écrites à l’oreille, sur la page d’un cahier d’écolière.
Au milieu de ses souvenirs, de ses fustigations contre ces ex-soixante-huitards devenus PDG sans scrupules, de ses regrets de n’avoir jamais vu Hair sur scène, de ne jamais avoir pu partir à Woodstock, ou encore de n’avoir vécu Mai 68 que par procuration (elle était bien trop petite), il y’avait ces photos.
Celles prises à la Villa Nellcote, en France, en 1971. Celles d’un exile romancé dont l’origine vient en réalité, du désir de Keith Richards d ‘échapper au Fisc britannique, en compagnie d’Anita et Marlon. Quelques semaines plus tard, le reste du groupe débarquait. Au milieu des déjeuners sur la terrasse avec les enfants, des après midi à bronzer près de la piscine, des guitares, de l’alcool, de la drogue et des soirées qui se finissent à l’aube, sans avoir rien prémédité, c’est là que Mick Jagger épouse Bianca. Cela marquera le début de la légende, puisque c’est à la suite de ce 12 Mai que le groupe commença l’enregistrement de Exile on Main Street, dans les caves de la Villa de Villefranche-sur-Mer.
Celui qui a pris ces clichés, c’est Dominique Tarlé, un photographe, qui vivra 6 mois avec le groupe.
Voilà pourquoi ces photos sont empreintes d’un naturel qui ne vieillit pas. Elles ont été prises à une époque où les producteurs de stars étaient plus inquiétés par une fausse note que par un cliché désavantageux. Plus intéressés par la musique que par le droit à l’image.
Aujourd’hui, ces trésors visuels n’existeraient pas.
Imaginez Madonna photographiée, en famille, durant 6 mois, en compagnie de ses amis! Impossible!
Pour ce qui est de la Villa Nellcote, elle n’en était pas à son premier coup d’éclat. Construite à la fin du 19e siècle par l’homme d’affaires Eugène Thomas, puis occupée par les nazis, avant d’être louée par Keith; la demeure mérite à elle seule le slogan Sex, Drugs, (scandals) & Rock&Roll.
Je crois que c’est à partir de ces photos, qui reflétaient pour moi un idéal de « way of life », de mes années d’Internat. J’aurais adoré faire partie de l’épopée bohème des Rolling Stones. De ces soirées, de ces coups d’éclats, de ces actes irréfléchis, spontanés, et naturels. Quelques accords de guitare, vivre sans compter le temps, et laisser libre cours à toute forme de créativité.
Peut être un jour?
La vie est pleine de surprises…
26 Comments
Mlle Toutouille
05/01/2011 at 21 h 33 minIl me fait rêver ton lycée
apreslapluielebeautemps
05/01/2011 at 21 h 56 minEn effet, j’y ai passé trois années merveilleuses!
flou
05/01/2011 at 21 h 53 minsupers photos, et surtout super histoire! (et, Oh my God, ils ont tous des cheveux tellement géniaux, je comprends que ta mère en ait révé pour toi!) 🙂
il existe toujours ce lycée?
apreslapluielebeautemps
05/01/2011 at 21 h 58 minOui, il existe toujours. Il a changé au fil du temps, il y’a de moins en moins de fond de l’Etat pour tout ce qui est artistique, donc Millet a du se mettre à la page et créer des classes plus classiques, tout en restreignant l’accès aux classes spécialisées.
Mais l’esprit vivote encore. Mon petit frère y est en terminale, il a choisi de se former aux techniques du cinéma.
Et les soirées y sont toujours aussi folles! ^^
Cla
06/01/2011 at 13 h 00 minJ’aime cet article!!! Les Doors, les Stones…<3
Bon, ceci dit je suis fan de Madonna, j'ai été porteuse de truc flashy immondes dans les 90's, je regardais Hélène et les Garçons et même le Club Dorothée…
Mais je suis nostalgique d'années que je n'ai pas connu, et ton article est un bel hommage, avec un doux air de "prenons la vie comme elle vient", qui symbolisait si bien ces années là…
Bises
apreslapluielebeautemps
06/01/2011 at 17 h 37 min« Prenons la vie comme elle vient » résume bien mon humeur du moment, alors merci pour ton petit commentaire 🙂
Cla
07/01/2011 at 12 h 21 minCette phrase me correspond également en ce moment 🙂
flo5253
07/01/2011 at 7 h 33 minJe suis allée dans un lycée tout ce qu’il y a de classique et à côté ton ancien lycée me donne envie!
Lilyvia
07/01/2011 at 18 h 15 minj’ adoré lire ton article, et ton lycée à l’air vraiment sympas. Pour ma part je suis allée dans un lycée classique donc bon… mais j’ai aussi adoré ces années là.
Et les photos sont vraiment très belles.
DAME SKARLETTE
07/01/2011 at 18 h 42 minSuperbe post. Tu as tout tellement bien relaté que j’ai cru que j’avais passé ces années en ta compagnie. J’ai adoré te lire. Biz
apreslapluielebeautemps
07/01/2011 at 18 h 46 minMerci pour ce gentil compliment! 🙂
paris pêle-mêle
08/01/2011 at 21 h 34 minTrès joli post en effet… d’autant plus touchant que ma mère a grandi à Cherbourg, et que je connais bien cette ville. Mais pour moi elle est plus synonymes de visite chez mes grands parents que de jeunesse engagée… c’est chouette de découvrir un peu cet aspect là
apreslapluielebeautemps
09/01/2011 at 11 h 25 minOui, Cherbourg est souvent mal connue. Un peu perçue comme un mouroir. Pourtant la jeunesse est bien là. Je parle ici de mon lycée, mais les rassemblements pour les manifestations se faisaient avec la plupart des lycées de la ville, et notamment avec Grignard et La Bucaille.
Je n’étais pas encore présente dans mon lycée pendant les élections présidentielles de 2002. Mais j’ai appris que lors de l’annonce du passage de Le Pen au second tour, une grande majorité des élèves se sont rassemblés, se sont assis par terre, et ont fait une manifestation silencieuse d’une minute, sous les cris du principal qui a fini par appeler la police (il est interdit d’affirmer des opinions politiques dans l’enceinte d’un établissement scolaire).
Finalement, tous ont retenu le contraste d’un seul principal, hurlant, se débattant, gesticulant, face à eux tous, âgés pour la plupart de moins de 18ans, assis, calmes, et silencieux. Parfois, on se demande où est la sagesse…
Modasse Cassis
09/01/2011 at 1 h 21 min« Enfin, imaginez un internat où la Bac descendrait environ une fois par semaine faire un petit tour des casiers. »
Naaaaaan ?!!
Bonne année miss !
apreslapluielebeautemps
09/01/2011 at 11 h 18 minBon, ça c’est tout de suite moins sympa. Cependant il ne s’agissait que de drogues douces!
Modasse Cassis
09/01/2011 at 16 h 44 minHé hé, trop drôle :))
LaSourisTeigneuse
11/01/2011 at 8 h 08 minTon lycée avait l’air d’être un véritable enchantement! un
poème et une rêverie à lui tout seule! tout comme ta maman! sinon
j’adore les photos des stones que tu nous postes elles sont rares
et intimes et nous plongent au plus près d’eux. bises
marie laure
18/01/2011 at 17 h 14 minj’envie cette époque …
apreslapluielebeautemps
18/01/2011 at 21 h 06 minMoi aussi…
PierreSombral22
07/09/2011 at 13 h 51 minJ’en sors juste après 4 ans de ce lycée, et il n’a pas vraiment changé. Toujours si peu de garçons, mais de plus en plus d’élèves dans les options artistiques(surtout en musique où ils étaient plus de 100 en 2010-2011). Et le meilleur? En 3 ans, on a eu 2 fois le droit à des manifs et blocus faisant que le lycée était inaccesible les deux semaines avant noël le tout en 2nde et Tle, sachant que lors des manifestations ont réunis les 5 autres lycées de Cherbourg! La différence c’est qu’il a été entièrment refait, en cachant les murs exterieurs avec d’horribles plaques vertes/rouges/blanches(qu’adores les mouettes et goelands!) ainsi que les salles et couloirs ayant une couleur par étage. Mais après plus de 4 ans ils n’ont toujours pas finis l’ensemble des structures à rénover. Mais il reste un lycée où on accumule les bons moments!
apreslapluielebeautemps
11/09/2011 at 21 h 15 minRavie de voir de petits Milletiens ici! 🙂
wenine
07/08/2012 at 19 h 52 minLe lycée Millet, j’y ai moi aussi passé des années fantastiques. On a dû se manquer de peu, mais quand j’y suis allée, il avait déjà commencé à changer. Bien sûr il y avait toujours des artistes et des hippies, mais je n’y ai jamais vu personne se promener dans la cour pieds nus, comme mes prédécesseurs avaient pu le faire, et puis il y avait de plus en plus d’élèves plus « normaux », vestimentairement parlant. Cela dit, même avec tous ses changements, ce lycée reste particulier dans Cherbourg. Il n’y a que des filières générales, très peu de garçons comme tu l’as dit, et malgré les tensions inévitables entre certains élèves comme dans tout établissement, je trouve qu’il y avait une bien meilleure ambiance générale que dans certains autres lycées, comme Tocqueville, trop grand pour que tout le monde se connaisse plus ou moins, et propice aux différends entres élèves, parce qu’énormément de styles différents. J’ai vu qu’après mon départ, il a continué de changer, notamment avec les rénovations faites, mais pour moi ce lycée restera magique, et pour rien au monde je n’échangerais les années passées là-bas ! (Même si à la fin de ma terminale, j’étais tout de même bien contente de changer d’air, et de partir découvrir la vie étudiante caennaise !)
apreslapluielebeautemps
07/08/2012 at 20 h 13 minJe crois que je n’ai jamais rencontré ne serait-ce qu’une seule personne capable de me dire qu’elle avait détesté ses années lycées à Millet. Ce lycée possède bel et bien une aura! ^^
Kezako
05/05/2013 at 14 h 36 min(Ce n’est plus « je crois », mais « nous étions » dans le même lycée, donc !)
(On a un an ou deux d’écart…).
Avec le recul, de bons souvenirs, même si je n’en ai sans doute pas profité assez…
Très jolies photos des Stones au passage 🙂
LaurentCM
26/08/2017 at 9 h 27 minSuperbe post, même si de l’eau est passé sous les ponts depuis sa diffusion il est très bien écrit et reste intemporel.
J’espère tout de même que tu as au moins une fois dans ta vie vue et écouter les Stones en concert ??
lebeautemps
23/09/2017 at 17 h 31 minMerci beaucoup pour ces mots! J’espère également voir les Stones en concert!