2 In En paroles et en poèmes

The Virgin Suicides

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Mon film préféré.
Extraits choisis du roman de Jeffrey Eugenides éponyme.

Il n’aurait pas pu dire qu’elle était belle parce que tout ce qu’il pouvait voir c’était ses yeux. Le reste de son visage – les lèvres pulpeuses, le duvet blond des joues, le nez avec ses narines translucides rose bonbon – s’imprimait vaguement dans sa conscience tandis que les deux yeux bleus le soulevaient sur une vague et le maintenaient suspendu. « Elle était le point fixe du monde en rotation », nous dit-il.

« Chaque seconde est éternelle », nous dit Trip, nous décrivant comment, alors qu’il prenait place à une table, la fille qui était devant lui, sans raison apparente, s’était tournée pour le regarder.

Le docteur Armonson sutura ses poignets. Cinq minutes après le début après le début de la transfusion il la déclara hors de danger. En lui prenant le menton il dit : « Qu’est-ce que tu fais là ma petite ? Tu n’as même pas l’âge de savoir à quel point la vie peut devenir moche. » Et c’est alors que Cecilia délivra oralement ce qui devait être la seule forme que prendrait son ultime message, inutile d’ailleurs, puisqu’elle allait vivre :  « On voit bien, docteur, dit-elle, que vous n’avez jamais été une fille de treize ans. »

Le journal est un document inhabituel sur l’adolescence en ce qu’il dépeint rarement l’émergence d’un ego informe.

Et ainsi nous entrâmes dans leurs vies, en vînmes à avoir des souvenirs collectifs de périodes que nous n’avions pas vécues, abritâmes des images personnelles de Lux se penchant par-dessus le bord du bateau.  Nous fîmes connaissance avec des ciels que les filles avaient regardés quand elles campaient des années auparavant, et l’ennui d’étés passés à traîner du jardin du devant à celui de derrière et retour.

Nous ne pûmes jamais comprendre pourquoi les filles accordaient tant d’importance à la maturité, ou pourquoi elles se sentaient obligées de se faire des compliments, mais parfois, après que l’un de nous avait lu un long passage du journal, nous devions refréner l’envie de nous serrer dans les bras les uns des autres ou de nous dire combien nous étions jolis. Nous ressentions la sensation d’être en prison qu’éprouve toute fille, comment on finissait par savoir quelles couleurs allaient ensemble. Nous savions que les filles étaient nos jumelles, que nous existions tous dans l’espace comme des animaux qui avaient la même peau, et qu’elles savaient tout de nous alors que nous étions incapables de percer leur mystère.    Nous savions, enfin, que les filles étaient en réalité des femmes déguisées, qu’elles comprenaient l’amour et même la mort, et que notre boulot se bornait à créer le bruit qui semblait tant les fasciner.

Ils ne dirent rien, et nos parents ne dirent rien, de sorte que nous sentions à quel point ils étaient vieux, à quel point ils étaient habitués aux traumatismes, aux dépressions, aux guerres. Nous prîmes conscience que la version du monde qu’ils nous donnaient n’était pas le monde auquel ils croyaient vraiment, et qu’en dépit de toute la peine qu’ils prenaient à traquer les mauvaises herbes, ils n’avaient rien à foutre de leurs pelouses.  *  « Et les insectes ne sont que des homards qui ont appris à voler. »

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Elles étaient comme Enée qui était allé aux Enfers, avait vu les morts, et était revenu, pleurant intérieurement.  Qui savait ce qu’elles pensaient ou ressentaient ?

Mais elles s’éloignaient de nous, des autres filles, de leur père, et nous les apercevions, debout dans la cour sous la pluie, partageant un beignet, regardant le ciel, se laissant lentement tremper.

Quand Lux sortit des toilettes des filles, Trip Fontaine la vit avec une concentration si aiguë qu’il cessa d’exister. Le monde à cet instant ne contenait que Lux. Elle était entourée d’une aura floue, miroitement qu’on eût dit provoqué par la fission d’atomes.

La lumière à l’intérieur de la maison nous rendait invisibles, et nous nous tenions à quelques centimètres de la fenêtre sans être vus, comme si nous regardions Lux depuis un autre niveau d’existence.

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Elles s’étaient tuées parce qu’elles avaient échoué à trouver un amour qu’aucun de nous ne pouvait être.

A la fin, leur âge, ou le fait même qu’elles soient des filles, n’importait pas, mais seulement que nous les avions aimées, et qu’elles ne nous avaient pas entendu les appeler , qu’elles ne nous entendent toujours pas, ici dans notre cabane dans l’arbre, avec nos crânes dégarnis et nos ventres mous, tandis que les appelons à sortir de ces pièces où elles sont entrées afin d’être éternellement seules, seules dans le suicide, qui est plus profond que la mort, et où nous ne trouverons jamais les éléments pour les reconstituer.

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2 Comments

  • Reply
    Eloïse
    26/05/2015 at 20 h 43 min

    J’adore ce film et la BO faite par Air est tout simplement magnifique.

  • Reply
    Nana
    26/05/2015 at 23 h 04 min

    Il faut absolument que j’aille regarder le film ! Je suis toujours à la recherche d’idées.. 🙂

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